mercredi 20 février 2019

Le paradoxe de l'autorité

Bonjour.

Voici un texte qui porte une réflexion essentielle à ma nouvelle condition de professeur dans le secondaire, et qui cherche des pistes de réponses à ma plus grande difficulté en ce début de carrière: l'autorité.

Depuis deux mois, je suis enseignant de mathématiques en lycée, en tant que fonctionnaire stagiaire. Je dois dire que cette expérience particulière est très intense, et soulève en moi de nombreuses questions. Une en particulier me semble intéressante à développer. En effet, l’aspect le plus difficile de ce travail est pour moi la gestion de classe. Ainsi, cette difficulté auquel je fais fasse me fait me questionner sur l’autorité, à travers en particulier le prisme de mes convictions et théories philosophiques.
La liberté a toujours été une chose très importante pour moi. Elle a été fondamentale dans le début de mes écrits philosophiques. J’ai beaucoup écrit sur elle, car elle était pour moi le but de la vie et de l’existence (ou du moins le moyen d’atteindre un tel but, qui est plutôt le plaisir et le bonheur). Au fur et à mesure, je me suis intéressé à d’autres questions, en particulier à la Nature et à l’Univers, afin de comprendre la réalité et atteindre la vérité. J’ai donc mis de côté la question de la liberté et du but de l’existence. Ainsi, ces notions me semblent datées, et si je ne renie pas mes anciennes convictions, je pense qu’elles méritent d’être grandement actualisées et nuancées (en particulier, le but de l’existence semblerait plutôt être l’existence même, comme je l’énonce dans ma théorie de l’Univers et de la Nature ; le plaisir et le bonheur étant donc plutôt le but de l’existence humaine, comme des conditions à l’épanouissement). Je vais faire un premier pas en ce sens dans ce texte.
Pour moi, le bonheur et le plaisir s’atteignent grâce à une liberté la plus large possible. Ainsi, l’autorité est pour moi une contrainte à la liberté, et donc une entrave au bonheur. J’ai donc beaucoup de mal philosophiquement à devoir faire preuve d’autorité auprès de mes élèves. Je vis une réelle dissonance entre mes convictions philosophiques et la réalité terre à terre du métier que j’exerce. Je vis un réel paradoxe qui me prend aux tripes, et qui me fait me remettre en question.
Ce n’est pas la première fois cependant que je vis ce paradoxe. En particulier, je me rappelle de la plus intense expérience que j’ai eu avec celui-ci. Je le ressentais énormément lorsque je promenais la chienne à ma voisine. J’étais alors adolescent, et je devais sortir cette jeune husky pleine d’énergie. J’avais le plus de mal au monde à me faire obéir par elle, ce qui m’obligea à ne jamais la détacher de sa laisse… C’était pour moi un déchirement émotionnel, car au plus profond de moi, la liberté des êtres a toujours été une de mes convictions. J’entrais donc en conflit avec mes croyances. Je devais dompter cet être innocent qui avait juste soif de liberté, juste envie de courir et d’explorer… Ce fût une grande difficulté pour moi de devoir agir comme je le devais, en tant qu’humain, et donc de respecter mon rôle : restreindre les libertés de cet être.
Retrouvant une situation similaire, une posture d’autorité m’obligeant à restreindre les libertés d’autres êtres, je me dois de lever ce paradoxe par écrit, afin de m’épanouir dans mon métier, bannissant à jamais cette dissonance de mon esprit.
Je vais pour cela formaliser certains raisonnements que j’avais eu à l’époque, et qui sont aujourd’hui complétés par mes précédents écrits. L’idée majeure qui permet de lever ce paradoxe est l’existence des différents niveaux de philosophie, d’appréhension de la réalité. On peut vivre avec des convictions philosophiques contradictoires si ces convictions existent dans des niveaux de vérité différents. Ici, ma conviction profonde est la liberté. C’est un idéal utopique qui est pour moi la réalité et la vérité de notre univers, de l’existence. Cependant, à un niveau de pensée bien plus bas, bien plus pragmatique, bien plus proche de l’existence quotidienne au sein de l’humanité, l’autorité est nécessaire pour survivre. Vivre en société implique de nombreuses restrictions de liberté, qu’elles soient fondées ou non. Ainsi, pour vivre dans notre monde, dans notre société humaine, les élèves doivent se restreindre aux règles de l’École, pour apprendre, se développer, et s’épanouir. Les animaux doivent écouter leur maître (en espérant sa bienveillance) pour survivre. C’est une triste réalité, mais dans la sous-réalité de notre planète régie par l’humanité, la liberté n’est pas une valeur fondamentale de l’existence, et doit être restreinte au nom de la survie, de l’existence même.
C’est d’ailleurs ce que j’expérimente au quotidien. Mes libertés sont grandement restreintes par la société humaine. Je pourrais me battre pour essayer de les étendre, mais je me trouve au contraire bien plus libre en suivant les règles de la société, me permettant de m’épanouir au sein d’elle, développant mon esprit sans contrainte. Plus je respecte les règles, plus je suis discret, et donc plus je suis libre… Je donne l’impression d’être dans le moule, afin d’être tranquille d’y développer mes différences.
J’espère que cette réflexion, ou du moins la captation de ces idées que j’ai depuis longtemps, me permettra de mieux supporter la position d’autorité qui m’est due par mon métier. Je ne renie pas mes convictions, je reste convaincu que la liberté est nécessaire au bonheur. Mais dans notre société, l’épanouissement passe par la restriction de libertés, par une uniformisation nécessaire. Il faut suivre les règles pour pouvoir les tordre et aller au delà, il ne faut pas les briser.
Dans tous les cas, je ne peux vivre selon mes convictions philosophiques profondes. Si j’appréhende le monde avec un niveau de pensée commun et pragmatique du quotidien, ma position d’autorité fait parfaitement sens, et est nécessaire. J’espère que cette idée est suffisante pour dissiper la dissonance que j’ai ressenti. Je suis devenu une figure d’autorité, et je dois pleinement accepter ce rôle pour le mener à bien, aussi difficile cela soit-il.

Avec deux mois de recul supplémentaires, je dois avouer que cette dissonance me fait toujours souffrir. Je travaille à l’atténuer, à pleinement embrasser mon rôle d'autorité. Si je m'améliore du point de vue des exigences institutionnelles, le combat n'est pas encore gagné, ne serait-ce qu'intimement. Je pense désormais que cette dissonance ne pourrait jamais disparaître... J'espère seulement qu'elle ne m’empêchera pas de réussir et de prendre pleinement mon rôle dans la société. Je vais devoir me battre, progresser, afin de pouvoir supporter et mener à bout la tâche humaine qui m'est assigné. 

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